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Chapitre 1

Le nez écrasé contre la vitre, Aelis regardait avec ennui la pluie tomber dans le jardin, noyant la terre qui ne pouvait plus absorber l’eau qu’on lui fournissait de force, emportant dans sa noyade les petits insectes piégés des flaques.

Les arbres dégoulinaient, les filets d’eau s’abattaient avec violence par terre, éclaboussaient les environs.

Le chat avait été assez fou pour sortir. Son âge avancé n’améliorait pas ses prises de décisions sensées. Stupide chat. Il était trempé jusqu’aux os, hors de question qu’il rentre à l’intérieur dans cet état.

L’herbe gorgée de pluie libérait les gouttelettes qu’elle retenait de ses brins à chaque pas feutré de l’animal. Elle pouvait s’imaginer la vie des insectes tant aimés de son frère. Si de son poste cela semblait juste de l’eau éparpillée, ce devait être le véritable chaos à l’échelle miniature.

Elle souffla, et la condensation vint se poser sur la vitre, obstruant son regard. Elle se recula, vannée. Regarder la pluie était encore plus ennuyant que ne rien faire. Si elle avait été heureuse pour son frère lors de son emménagement chez Erato, elle était égoïstement déçue qu’il ne soit plus là avec elle. Maintenant, la Aelis de l’extérieur se retrouvait même à l’intérieur. Elle n’avait plus aucune raison d’être joyeuse et agaçante. C’était Ludovic qui la rendait ainsi. Lewyn n’était qu’ennui et sérieux et au fond, bien qu’il soit son jumeau, elle ne le connaissait pas. Et de toute façon, il passait son temps au labo, la laissant seule à la maison avec leur chat sénile au profit de ses tant affectionnés robots. Si seulement il y avait encore Zélie, sa grand-mère. Elle aurait pu discuter avec elle de l’héritage immense de leur famille dite autrefois gouvernée par une voix venue de nulle part, ou encore lui jouer du piano. Même si elle ne maîtrisait pas du tout cet instrument, la vieille femme appréciait l’effort de sa petite-fille et l’encourageait. Comme elle lui manquait…

Au paroxysme de l’ennui, elle attrapa un téléphone et appela son frère, qui ne répondit pas. Alors elle se rabattit sur l’autre.

- Ae ? Un problème ? demanda Lewyn, aucune inquiétude dans la voix.

- Oui, je m’ennuie, alors je t’appelle. Ludovic répond pas.

- Je suis au labo, Ae, appelle Erato si tu veux Ludovic.

Il raccrocha et la jeune femme souffla. Elle s’ennuyait toujours autant. Elle composa le numéro de sa belle-sœur, sachant très bien qu’avec tous les problèmes qu’ils avaient, elle ne répondrait pas.

- Salut Aelis ! Comment tu vas ? Tu veux parler à Ludovic ? Il a plus de batterie, tu le connais, il a perdu son chargeur. Je te le passe !

Elle l’entendit l’appeler, le chercher dans toute la maison, son frère demanda qui c’était, le combiné passa d’une oreille à l’autre. Après plusieurs minutes, Aelis entendit enfin la voix de Ludovic.

- Un problème Ae ?

Pourquoi pensaient-ils tous qu’elle avait un problème quand elle appelait ? Si l’ennui était un problème, alors oui, elle avait un gros problème.

- Lis un livre, regarde la télé, va dehors.

- Il pleut.

- Tu peux pas m’appeler à chaque fois que tu t’ennuies, j’ai une vie Ae ! Et toi aussi.

- Ma vie est ennuyante et… attends…

- Quoi ?

- Y’a Mewann qui traîne devant la maison, répondit-elle en ne quittant pas des yeux l’intrus.

- Mewann ? Qu’est-ce qu’il fout là ce connard ?

- Je vais aller lui demander.

- Sois prudente Ae… lui conseilla son frère.

- J’ai pas peur de ce connard.

Elle raccrocha, toujours en fixant le jeune homme dans son jardin. Qu’est-ce qu’il faisait là, celui-là ? Comment savait-il qu’elle habitait ici ? Il l’avait suivi, ce malade mental ? Bien possible.

Elle ne prit même pas la peine de s’habiller plus chaudement. Après tout, elle n’en avait rien à faire. Elle allait sortir, foutre son poing dans la gueule d’ange de ce connard et rentrer. Le plan parfait.

Elle fut trempée deux secondes à peine après avoir mis le pied dehors. La pluie tombait dru, il faisait froid avec le vent qui soufflait pourtant faiblement. Comment Mewann, en T-shirt comme à son habitude, pouvait ne pas grelotter ?

- Qu’est-ce que tu fous là, connard ? l’aborda-t-elle sans préambule.

- Je te cherchais. Il est temps. Joyeux anniversaire en retard d’ailleurs ! lança-t-il tout sourire, tandis qu’Aelis s’énervait.

De quoi parlait-il, encore ? Qu’est-ce qu’il avait inventé cette fois-ci pour l’humilier et se foutre d’elle ?

- Je sais ce que tu es, Ae. Tu ne trompes personne.

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

Elle était elle. Aelis Vanek, rien de plus, rien de moins. Fille de Gaël et Sasha, sœur de deux imbéciles, steampunk et sans réels amis. Voilà ce qu’elle était.

- Oh allez Ae, pas à moi ! On pourrait sentir ton odeur à des kilomètres ! Tu pues la sorcière.

- Les sorcières n’existent pas, qu’est-ce que tu racontes ?

- Allez, je sais ce que tu es, avoue-le maintenant. Ça change plus rien.

- Laisse-moi tranquille, hurla-t-elle pour couvrir le bruit de la pluie battante qui devenait de plus en plus forte.

- Utilise tes pouvoirs.

- Je n’en ai pas, s’obstina-t-elle.

- Ne me force pas à te forcer, la prévint-il.

La forcer ? Qu’est-ce qu’il voulait dire par là ? Elle souleva sa frange et la plaqua sur son front, libérant ses yeux des cheveux dégoulinants, elle pouvait ainsi l’observer à loisir et anticiper ses mouvements. Il était capable de l’attaquer, ce fou.

Sous les yeux terrifiés de la jeune femme, Mewann disparut au profit d’un loup roux. Elle hurla, s’époumona, tenta de se replier à l’intérieur, mais l’animal fut plus rapide et fondit sur elle, tous crocs dehors, grognant dangereusement. Mais il n’arriva jamais jusqu’à elle, ayant été rejeté violemment en arrière par une force invisible.

- Hahaha, wouhou ! Ça c’était violent, aucun doute, t’es une Vanek ! s’esclaffa Mewann en se relevant de sa chute, se massant le dos par la même occasion.

- C’était quoi ce bordel ? paniqua Aelis, encore sous le choc.

Elle haïssait les loups, elle les haïssait plus que tout, elle n’avait jamais su pourquoi. Ils ne lui faisaient pas tant peur. Elle ne les aimait tout simplement pas.

- Ce bordel, c’est ma vraie nature.

- Je sais pas à quoi tu joues, ni comment tu as fait, mais…

- Ae, arrête de faire l’innocente, c’est ridicule. Tu viens de me sortir une sorte de bouclier ultra puissant et tu refuses d’accepter le fait que je puisse me transformer en loup ?

- Qu’est-ce que tu es, putain ?

- Un loup. Rien de plus simple. Tu sais vraiment rien, n’est-ce pas ? Quelle tristesse, de la part d’une Vanek…

- Arrête de répéter que je suis une Vanek, qu’est-ce que ça veut dire ?

- Que t’es celle que je recherche.

- Mewann, je sais pas ce que tu veux, mais casse-toi ! hurla-t-elle au bord de la panique, totalement dépassée par ce qu’elle venait de voir.

- Non, Ae, s’il-te-plaît, écoute-moi.

- Casse-toi ! répéta-t-elle d’un ton brisé, avant de courir dans la maison où elle s’enferma à double tour, haletante.

Ses cheveux dégoulinaient, trempaient le parquet à ses pieds, il allait gonfler si elle le laissait ainsi, mais elle était bien trop concentrée sur ce que venait de dire Mewann… Et ce qu’il venait de se passer. Elle avait rêvé, elle allait se réveiller, elle en était certaine, personne ne se transformait en loup, c’était totalement insensé.

Elle passa ses mains sur son visage, plaqua ses cheveux mouillés sur le haut de son crâne, elle grelotta. Elle était maintenant trempée jusqu’aux os, ses vêtements lui collaient à la peau, chacun de ses mouvements était désagréable.

Chassant les récents évènements de sa tête, elle se rua dans la salle de bain où elle fit couler un bain tiède dans lequel elle se plongea avec satisfaction. La pluie qui la recouvrait était si froide que l’eau du bain lui semblait brûlante, mais son corps s’habitua vite et bientôt, l’eau redevint tiède.

Bien décidée à penser à autre chose que Mewann et sa soit-disant véritable nature qui n’était, elle en était sûre, qu’une plaisanterie de très mauvais goût et très bien organisée, elle ferma les yeux et se laissa glisser dans l’eau qui vint lécher son menton. Le souffle de l’eau légèrement chaude caressa son visage encore trempé de pluie et elle soupira. Le silence l’enferma dans une bulle de sérénité et bientôt, elle bascula dans un état de demi-sommeil gouverné par ses souvenirs et son subconscient.

Flammes.

Elle geignit, gênée par la soudaine vision de ce souvenir si lointain qu’il lui paraissait n’être qu’un rêve. Elle s’efforça à planter une image plus agréable dans son esprit, comme ces moments si heureux et innocents de son enfance. Ludovic restant planté des heures devant des fourmis qui grouillaient dans le jardin, elle, impatiente, qui essayait avec sa force d’enfant de six ans, de le tirer en arrière, mais, n’y parvenant pas, décidait de partir se balader seule dans la montagne, derrière la maison.

La cabane.

Merde, ce souvenir précédait cet autre souvenir qu’elle voulait éviter.

L’air soudainement irrespirable, les particules de cendres rentrant dans ses poumons.

Non, non, elle n’aimait pas ce souvenir, pourtant si flou dans sa mémoire, vingt-deux ans qu’elle l’avait enfoui au plus profond d’elle-même, refusant d’y accorder la moindre importance, la moindre pensée, pourquoi resurgissait-il maintenant, alors qu’elle essayait vainement de se détendre en prenant un bain ?

La cabane abandonnée au fond des bois, prenant soudainement feu.

Ce n’était pas elle, pas sa faute, pleurait-elle, gamine de six essayant de prouver son innocence face à des adultes au ton pressant et intimidant. La cabane, elle, elle avait pris feu, tout à coup, ce n’était pas elle, elle n’avait pas d’allumettes, ni de briquet, et encore moins un esprit assez tordu pour mettre le feu à une cabane, même abandonnée. Elle était une enfant normale, sage, ne faisait pas de vagues. Pas elle, pas elle.

- Ce n’était pas moi, elle a pris feu toute seule, marmonna-t-elle l’esprit engourdi, se défendant face à ces personnes du passé.

Pas elle, non, mais l’incendie n’a jamais été accidentel, ils n’ont jamais trouvé d’où était venue la source, ils l’avaient désignée coupable, c’était une cible facile, incapable de se défendre, sa parole d’enfant de six ans ne valant rien.

Une bête, il y avait une bête ce jour-là, cachée derrière la cabane, l’attendant, à l’affut, elle allait l’attaquer, elle avait eu peur, elle s’en souvenait aujourd’hui. Ce n’était qu’un faon égaré, mais elle avait eu peur, elle n’avait rien pour se protéger, hormis elle-même, et…

Le feu.

Peur, incontrôlable, paniquée, cette douleur dans son corps entier, puis le feu, le feu qui s’élevait entre les conifères, venait lécher le début du ciel avec sa fumée grisâtre.

Pas elle. Pas sa faute.

Un tel évènement se révèlerait être de la magie, de la magie, elle…

- Aïe !

L’eau était devenue soudainement bouillante, la brûlant en entière, avant de redevenir tiède aussitôt. Avait-elle rêvé, absorbée par ses pensées ? Non, sa peau était rouge par endroit, légèrement brûlée.

Merde… Merde, merde, merde…

Le feu.

Ne prenant même pas la peine de se savonner, elle sauta de la baignoire et passa les premiers vêtements qui lui passaient sous la main, autrement dit sa robe encore trempée qui lui colla immédiatement à la peau, mais qu’importait, elle était beaucoup trop perturbée par cette vérité qui lui arrivait en pleine figure si soudainement. Elle ne sentait même pas l’effet désagréable du tissu contre sa peau.

Il était là, vadrouillant autour de chez elle, l’attendant, sans aucun doute. Pourquoi avait-il pris la forme d’un loup pour le faire, elle n’osait à peine le regarder. Elle ne voulait pas qu’il la remarque. Elle ne voulait pas aller à sa rencontre. Elle ne croyait pas qu’elle allait faire ça. Elle allait parler à Mewann, elle allait faire le premier pas, ce serait elle, pour la première fois de sa vie, qui entamerait la conversation.

Elle ne voulait pas accorder de crédibilité à ce qu’il disait, elle ne voulait pas que ce soit lui qui lui apprenne la vérité, mais quel choix avait-elle ? Aucun. Il savait la vérité dont elle ne savait rien. Il était le seul à pouvoir l’éclairer.

Elle inspira longuement, regrettant déjà ses prochains mouvements. Puis elle affronta une nouvelle fois la pluie battante. Le loup l’aperçut et tranquillement, Mewann prit sa place. Elle n’arrivait toujours pas à croire qu’une telle chose fût possible, mais la cabane, elle avait pris feu soudainement.

Essayant vainement de calmer son cœur, merde, elle détestait deux choses, Mewann et les loups, et voilà qu’elle avait les deux en face d’elle. Sauf si c’était une blague mais… Ses yeux… Ses yeux d’un bleu pâle et glacial, si reconnaissables, aucun doute, le loup était Mewann et inversement.

- Salut… l’accueillit-il sobrement.

Son sourire légendaire avait disparu de ses lèvres. Il n’était plus question de se moquer d’elle, ou de l’agacer. Plus de sarcasmes ou de ton condescendant. Mewann venait de revêtir un tout autre masque sur son visage, un bien différent de celui de brimeur qu’Aelis détestait tant.

- Qui suis-je ? demanda-t-elle au bord des larmes.

- Un peu vieille pour les questions existentielles, non ? répondit-il, le Mewann moqueur n’ayant pas complètement disparu non plus.

- Je déconne pas, Mewann. T’en sais plus sur moi que moi-même. Qu’est-ce que je suis ?

- Je te l’ai déjà dit, une sorcière. Et j’ai besoin de tes pouvoirs.

Elle n’osait pas demander pourquoi. Mais elle savait qu’elle lui serait inutile. Elle ne savait même pas où se cachaient ces fameux pouvoirs, ni comment les utiliser.

- Et pour ça, j’ai besoin que tu viennes avec moi, ajouta-t-il d’un ton assuré.

- Où ?

- Dans un monde intermédiaire, ma chère sorcière.

Il lui tendit la main, l’incitant à le suivre. Et après une seconde d’hésitation, elle s’en empara.

Le voilà enfin, le premier chapitre de cette histoire que j'attendais de présenter depuis si longtemps ! Aelis a certes disparu chez les muses, mais pour la bonne cause :  se retrouver ici.

Tout d'abord, bravo à Olivia d'avoir deviné, Ae est bien une sorcière \o/

Quant à Mewann, il a beau être un loup, on sait toujours pas vraiment, il pourrait être un sbire du traître, comme pas mal soupçonnent... mais finalement, on ne sait toujours pas trop où ils sont, et pourquoi ils ne sont jamais revenus ~ Mystère mustérieux.

Sinon, le titre est cliquable, il vous ammènera vers une musique, je vais faire ça pour chaque chapitre je pense !

Bref, n'hésitez pas à dire ce que vous pensez du blog, de faire des remarques, des critiques, et souvenez-vous : les autres pages contiennent des spoils, vous êtes prévenus !

Sur ce, je vous dis à très vite pour le prochain chapitre !

Tschüss les bouquetins ♥

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