top of page

“You’re an idiot, why do I love you?”

 

C’était beaucoup trop silencieux. Dehors, il neigeait, et la neige avait cette particularité assez frustrante pour Ellie de tomber en silence. Euterpe était plongée dans un livre et comme d’habitude, le faisait d’une façon si discrète qu’on aurait pu croire qu’elle n’était pas là. C’était quelque chose qu’Ellie adorait chez elle. Elle faisait même attention à ne pas faire de bruit quand elle tournait la page. Mais quand bien même elle adorait cette discrétion, c’était trop silencieux, aujourd’hui.

- Dis ? appela-t-elle.

- Hmm ? se contenta de faire Euterpe sans lever les yeux de son livre.

- Tu joues du violon ?

- Oui. Depuis mes six ans, répondit la musicienne très sérieusement.

Elle n’avait toujours pas relevé le visage, totalement concentrée sur les lignes qui noircissaient les pages. Ce fut un coussin jeté en pleine figure qui l’arracha à sa lecture.

- Eh !

- T’es trop bête ! répliqua Ellie qui avait enfin toute l’attention de sa petite-amie.

- Tu m’as demandé si je jouais du violon ! s’offusqua-t-elle faussement. Je te réponds que j’en joue depuis mes six ans.

Elle marqua une pause.

- Oh, tu voulais dire, je joue quelque chose maintenant ? fit-elle semblant de comprendre.

Ça lui valut un deuxième coussin.

- Je te déteste, tu sais ? demanda Ellie.

Euterpe lui répondit par un sourire, avant d’aller chercher son instrument et de jouer le morceau préféré de sa copine. Celui qu’elle avait composé rien que pour elle, quelques années auparavant. Celui qui allait parfaitement bien avec le temps, dehors. Le chant de l’hiver.

Best Friends to Lovers

Les beaux jours étaient déjà de retour quand Euterpe revint de nouveau à Bearwell. Si elle n’avait pas pu avant, lui avait-elle dit, c’était parce qu’elle avait quitté la fac et qu’elle avait dû réorganiser toute sa vie. Trouver un travail, apprendre à s’occuper de sa fille, réapprivoiser son violon. Elle allait mieux et c’était tout ce qui comptait pour Ellie. Même si elle ne pouvait s’empêcher d’être un peu déçue. Elle aurait aimé entendre sa musique en hiver.

Pour commencer son séjour tranquillement, la jeune montagnarde avait prévu un pique-nique au belvédère. À cette époque de l’année, il n’y avait encore personne, et c’était le meilleur endroit pour avoir la plus belle vue. Et puis, ce n’était pas très loin de la route, donc Euterpe n’aurait pas le temps d’être fatiguée par la montée.

- On arrive bientôt ? réussit tout de même à se plaindre la musicienne. Je suis crevée.

- Eh, tu exagères, ça monte presque pas !

- Laisse moi me plaindre en paix, rétorqua-t-elle avec un sourire.

Elle avait tellement changé, depuis l’été dernier, se surprit à penser Ellie. L’été dernier, jamais elle n’aurait lancé ça avec autant de sarcasme. Jamais elle n’aurait osé être aussi railleuse. L’été dernier, elle parlait peu, ne s’affirmait pas. La Euterpe d’aujourd’hui était totalement différente. Elle souriait, parlait, marchait d’un pas léger. Simplement parce qu’elle avait quitté cette fac qui l’étouffait.

Elles arrivèrent bientôt à destination et Euterpe se laissa tomber brutalement dans l’herbe, avant même qu’Ellie ne puisse sortir la nappe qu’elle avait emprunté à Gus exprès.

- Viens t’asseoir là, tu seras mieux, lui fit la rousse avec un sourire moqueur.

Euterpe se rapprocha et s’allongea, fermant les yeux, offrant son visage au soleil de mai. Ellie se surprit alors à l’observer. Ses yeux légèrement clos derrière leur barrière de verre, ses joues traversées de mèches brunes et rebelles, ce nez aquilin qui faisait tout le charme de ce visage. Cette bouche rosée si discrètement entrouverte. Ces lèvres qui brillaient au soleil. Elle secoua la tête, laissant échapper un petit rire. Elle avait rêvé de ces lèvres pendant trop longtemps, sans savoir quoi en penser et maintenant qu’elle avait enfin compris, le doute l’assaillait. Son ventre était en guerre, en proie à la fois à une douce chaleur réconfortante et un pincement d’angoisse. Que risquait-elle ? Trois fois rien, juste son amitié avec la musicienne. Si elle se lançait… Oh, si elle se lançait, tout pouvait changer, pour le meilleur comme pour le pire. Elle avait peur du pire. Elle ne voulait pas devenir pour Euterpe l’équivalent d’un Crash pour elle. Une personne avec un crush étrange qui avait tenté sa chance. Changé quelque chose dans l’amitié.

Et puis, cette fille avait une fille, un homme qu’elle avait aimé. Quel était le pourcentage de chances qu’elle aime les filles, elle aussi ? C’était trop compliqué, d’aimer les filles. C’était trop compliqué, d’aimer cette fille.

Ellie se laissa tomber sur la nappe elle aussi, posant son visage à côté de celui d’Euterpe. Du coin de l’œil, elle pouvait voir ces lèvres qui lui faisaient tant envie. La brune ouvrit les yeux et tourna délicatement la tête vers la masse qui venait se d’effondrer à côté d’elle.

- Salut, souffla-t-elle en reconnaissant Ellie.

Un immense sourire déchirait son visage. Le cœur d’Ellie sembla rater un battement. Ses pensées s’arrêtèrent. Il n’y avait plus rien. Elle n’entendait même plus le chant de la montagne. Juste le souffle régulier de la musicienne, qui formait un chant à lui tout seul. Elle devait se lancer, pas vrai ? Elle n’avait pas le droit de laisser partir sa chance comme ça. 

- Ellie ?

Elle n’arrivait même pas à répondre, à dire un simple « oui ».

- Je peux t’embrasser ?

“Why did you have to leave me all alone?”

Elle avait attendu longtemps après la fin du spectacle pour oser s’aventurer vers les loges des artistes. Parce que les gens, même s’ils n’avaient pas le droit d’y aller, essayaient toujours de se frayer un chemin, pour avoir la chance d’apercevoir leur idole d’un peu plus près, ne serait-ce qu’un instant.

Elle, elle avait plus ou moins le droit d’être là. Léane, qui s’occupait des photos du festival, avait réussi à la faire entrer de façon un peu plus officielle. De plus, sa vieille amie avait tenu à l’accompagner, au cas où elle tomberait sur des vigiles un peu moins sympathiques que ceux à l’entrée des coulisses.

Bientôt, les deux femmes se retrouvèrent devant la loge qui les intéressait. Elle se figea. Soudainement, elle n’était plus sûre de vouloir le faire. Elle ferait sans doute mieux de rentrer directement chez elle, dans les montagnes. Jamais elle ne la reconnaitrait et quand bien même, ça faisait si longtemps qu’elle n’en aurait rien à faire.

- Ellie, la pressa Léane d’un murmure. Qu’est-ce que tu attends ?

Elle était paralysée. Ce n’était pas une bonne idée.

- Ok, je toque pour toi, s’impatienta Léane.

Elle était tellement ailleurs qu’elle ne protesta même pas. Son cœur rata un battement quand son amie toqua, puis un second quand la porte s’ouvrit.

Mais ce n’était pas Euterpe. C’était un homme carré, large d’épaule, une tête un peu enfantine qui n’allait pas avec le reste de son corps. Il observa les deux femmes devant lui en fronçant les sourcils, avant de demander :

- Qu’est-ce que vous voulez ?

- Voir Euterpe.

Encore une fois, c’était Léane qui avait pris les devants. Ellie n’osait même pas relever le regard. Elle observait ses pieds qui piétinaient le sol machinalement. Son cœur battait à tout rompre. Elle espérait que le vigile ne leur dise de déguerpir, ce qu’elle ferait sans demander son reste.

- Désolé, ce n’est pas une rencontre avec les fans, ici, je vous demanderai de bien vouloir partir, répondit le vigile en essayant de paraître le plus poli possible, quand bien même on pouvait voir dans son ton qu’il en avait marre de ces personnes qui voulaient voir la star montante de la musique.

Ellie était déjà en train de partir quand Léane l’attrapa en un réflexe par le bras pour la ramener vers elle.

- Nous ne sommes pas des fans. C’est une vieille amie à nous.

L’homme haussa un sourcil, peu convaincu.

- Dites lui qu’il y a une fille rousse et bouclée dehors, elle saura qui c’est, tenta Léane.

- Euterpe ne veut pas être dérangée.

- S’il-vous-plaît.

Ellie venait de parler pour la première fois depuis son arrivée ici. Son ton était plaintif, sa voix presque brisée. Elle venait de réaliser qu’Euterpe, cette fille qui avait marqué sa jeunesse, se trouvait juste derrière cette porte. Ça lui semblait si irréaliste, après tant d’années, d’être si près d’elle. Elle l’avait bien vue sur scène, mais sur scène, ça paraissait différent. La musicienne était là sans l’être. Elle venait faire son show, puis repartait dans sa loge. Aucune interaction directe avec qui que ce soit. Comme une personne à la télé. Mais là…

- Allez lui dire que je suis là. Dites-lui que j’écoute la montagne. Juste une fois. Si elle refuse de me voir, nous partirons, c’est promis.

L’homme soupira, fit la moue, puis entra de nouveau dans la loge, sans dire si oui ou non il allait prévenir Euterpe.

- Désolée Ellie.

Puis, quand elles se décidèrent enfin à partir, la porte s’ouvrit. Mais cette fois-ci, ce n’était pas l’immense homme qui se trouvait sur le pas de la porte, mais une femme. Euterpe.

Elle n’avait changé. Enfin, pas vraiment. Elle avait certes quelques rides qui commençaient à modifier la peau de son visage et quelques cheveux blancs qui parsemaient sa chevelure sombre, mais elle avait toujours ces mêmes lunettes, cette même coupe de cheveux, ce même style. Ce même petit sourire. Et dans ses yeux autrefois morts brillait une lueur nouvelle. Peut-être qu’elle avait changé, finalement. Elle semblait vivante.

Elle fixait Ellie et Ellie la fixait. Aucune d’entre elles ne parvint à détacher son regard de l’autre.

- Je suppose que vous avez des choses à vous dire, on se retrouve plus tard, Ellie, souffla Léane en s’éclipsant, se sentant immédiatement de trop.

Ellie revint à la réalité grâce à cette intervention de son amie. Elle secoua la tête et cligna des yeux, baissa la tête pour couper définitivement le contact visuel.

- Ellie, souffla Euterpe.

Ellie releva la tête.

Euterpe ne souriait plus. Elle mordait nerveusement sa lèvre inférieure et elle aussi avait baissé les yeux. Elle inspira longuement.

- Qu’est-ce que tu fais là ?

Elle n’aurait pas dû venir. Après tant d’années, qu’est-ce qui lui avait fait croire que la musicienne voudrait la voir ?

- Je… Je voulais juste te dire bonjour.

Elle passait pour une imbécile.

- Entre, proposa Euterpe après un long silence embarrassant aussi pour l’une que pour l’autre.

Sa loge était totalement impersonnelle, c’était des loges qu’on prêtait aux artistes le temps du festival, et, dans le cas d’Euterpe, une seule soirée. Elle n’avait fait qu’une apparition surprise et partirait dès le lendemain. Si Ellie avait été au courant que la violoniste serait présente alors que ça avait été un secret pour tous les autres, c’était bien grâce à Léane. La rousse ne se sentait pas à l’aise, ici, surtout que dans un coin, le vigile l’observait de loin, méfiant. Pas les meilleures conditions pour se retrouver après plus d’une vingtaine d’années.

- Ta fille n’est pas là ? demanda Ellie pour mettre fin au silence dans lequel seuls les battements de son cœur résonnaient.

- Elle est sortie se balader, répondit froidement Euterpe en s’asseyant devant son miroir pour se débarrasser de son maquillage.

Ellie se gratta nerveusement le bras, tanguait d’un pied à l’autre. C’était si différent de tout ce qu’elle avait imaginé. Elle avait rêvé de ce moment où elle reverrait Euterpe pendant si longtemps, pensait à tous les scénarios possibles, mais celui-là était celui qu’elle aimait le moins. Celui où Euterpe n’en aurait rien à faire d’elle. Et c’était pourtant le plus prévisible. Après tout, c’était Euterpe qui avait coupé tout contact, il y a une éternité de ça. C’était bien parce qu’elle ne voulait plus voir la montagnarde.

- Euterpe, je…

- Écoute Ellie, la coupa-t-elle immédiatement en se retournant. Je ne sais pas pourquoi t’es venue, mais, comment dire, c’est bizarre pour moi de te revoir, là, après autant de temps.

- Je ne sais pas non plus pourquoi je suis venue, avoua Ellie en se mordillant la lèvre. Je voulais juste te revoir.

- Ellie, après tout ce que je t’ai fait…

Elle laissa échapper un léger ricanement, un sursaut dans son souffle.

- Pourquoi ?

- Toi, pourquoi ? lui retourna-t-elle la question. Pourquoi tu as fait tout ce que tu m’as fait ?

Ou pas fait. Elle avait juste disparu. Elle l’avait laissé toute seule, trop soudainement.

Euterpe soupira. Prit une grande inspiration, comme pour se donner du courage.

- Tu as… tout bouleversé, Ellie. Tout. Toute ma vie. Tu as fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Et tu… tu as…

Elle marqua une pause, passa une main dans ses cheveux, soupira, une fois, deux fois, trois fois.

- Tu as trop bouleversé, dit-elle finalement.

Elle regardait Ellie dans les yeux, dorénavant, haletante, comme si elle venait de courir pendant des kilomètres, et attendait de toute évidence une réponse qui n’arrivait pas. Un rire nerveux s’empara d’elle.

- Ellie, me force pas à le dire.

- Toi aussi. Tu as tout bouleversé, parvint à dire la rousse.

Un frisson parcourut le corps de la musicienne. Ce qu’elle venait de dire… Ses lèvres tremblaient, elle semblait sur le point d’éclater en sanglots, mais elle pressa ses paupières l’une contre l’autre et se contrôla.

- Je suis désolée. J’avais peur de ce que je ressentais, je… je n’ai aucune excuse, je t’ai abandonnée.

Elle baissa la tête, honteuse. Ellie se rapprocha, pour la première fois depuis qu’elle était entrée dans la pièce. Elle s’empara des frêles de la musicienne et cette dernière releva le regard, rencontra celui d’Ellie.

- Il n’est pas trop tard, tu sais ?

- Ça fait vingt-cinq ans, Ellie, souffla Euterpe, avec un sourire qu’elle ne parvenait pas à cacher.

- On pourrait tout recommencer ? Il n’est pas trop tard.

- Il n’est pas trop tard, lui fit-elle écho.

Elles sourirent.

Pirate!AU

 

On l’avait traitée de tous les noms, mais en particulier de « folle », de « suicidaire ». On lui avait dit que jamais une femme n’aurait dû devenir capitaine d’un navire, que si elle se croyait plus maligne que les autres, ainsi soit-il, mais que personne ne la pleurerait quand elle se retrouverait au fond de l’océan. Elle avait balayé ces remarques d’un revers de main. Elle était habituée. Chacune de ses actions était hautement critiquée au port, parce qu’elle était une femme. Elle avait appris longtemps auparavant déjà à ne plus les écouter. Si elle l’avait fait, elle ne serait jamais partie en mer une seule fois, après tout.

Elle avait tout traversé, des mers si calmes et plates qu’elle-même se mettait aux corvées pour échapper à l’ennui aux océans déchirés par la colère du ciel, accompagnés de vagues si monstrueuse qu’il s’en était fallu d’un miracle pour ne pas finir au fond de l’eau à nourrir les poissons. Elle avait survécu à tout. Et elle survivrait sans aucun doute à ce bras de mer. Les vieux marins en avaient peur parce qu’ils croyaient à de vieilles légendes. Mais ce n’était que des légendes.

- Lentement, je ne veux pas heurter ces rochers, ordonna la capitaine à sa seconde.

Ces rochers, elle les scrutait le plus attentivement possible, remettant nonchalamment ses cheveux roux en place quand le vent les envoyait devant ses yeux. Mais rien. Elle avait eu raison. Elle venait de gagner une semaine de voyage en prenant ce raccourci.

Puis son cœur rata un battement.

- Vous entendez ?

La seconde leva la tête, se concentrant sur son environnement sonore, mais elle ne semblait rien entendre.

- Je n’entends rien, mon capitaine.

La capitaine plissa les yeux, de plus en plus inquiète. Se pourrait-il que les légendes soient vraies ? Que ces vieux marins, ils n’étaient pas fous ?

Elle l’entendit de nouveau et elle se rapprocha du bord. C’est là qu’elle la vit. Elle n’était pas sur un rocher, comme on lui avait dit, mais dans l’eau, ses yeux relevés vers l’avant du navire où la pirate se trouvait. Autour d’elle s’étalaient ses cheveux sombres qui flottaient légèrement à la surface et ses yeux… Ah, ses yeux étaient semblables aux abysses. Si captivant. Et sa voix. Comment pouvait-elle chanter, sa bouche était sous l’eau, mais sa voix, elle était magnifique. Envoutante. Elle devait s’approcher, tomber à l’eau. Plonger dans les abysses.

- Capitaine, attention !

La seconde la rattrapa au moment où elle allait tomber par-dessus bord. Une seconde d’égarement, et la sirène avait disparu.

- Merci, dit-elle en replaçant son tricorne comme si de rien était. Partons vite d’ici.

Autumn

 

Elle regardait d’un regard absent le calendrier. Elle venait seulement de réaliser. On était le 19. Elle venait de passer la journée sans penser à sa première fille, née ce jour, il y a bien longtemps. Elle était tellement indigne d’être mère qu’elle ne se souvenait même pas de l’âge de cette fille arrivée trop tôt. Elle soupira. Elle ne l’avait pas vue depuis si longtemps qu’elle oubliait presque son visage. Elle avait déjà oublié le son qu’avait sa voix. En bientôt dix ans, elle n’avait reçu aucune nouvelle, elle aurait pu la croire morte, jusqu’à ce jour à Starlight Shores où une lettre lui était parvenue. D’ordinaire, elle ne lisait pas les lettres des fans, elle en recevait beaucoup trop, mais elle prenait néanmoins le temps de les ouvrir et de les ranger dans une boite. Mais celle-là, un nom avait retenu son attention. Une signature, d’une écriture un peu hésitante, d’une personne qui n’avait pas l’habitude d’écrire souvent.

Polymnie.

Elle n’avait pas lu cette lettre non plus, finalement, trop effrayée par ce qu’elle pourrait contenir. Polymnie ne l’avait jamais aimée, et elle avait bien raison. Elle ne méritait pas son amour. Mais aujourd’hui, c’était son anniversaire. Il était peut-être temps de lire ce qu’elle avait à dire, finalement.

Tellement concentrée sur ses pensées, la musicienne n’entendit pas Ellie s’approcher et sursauta quand cette dernière passa ses bras autour de ses épaules et poser sa tête sur son épaule droite, observant ce qu’elle faisait.

- À quoi tu penses ? demanda-t-elle.

- C’est l’anniversaire de Polymnie.

- Oh. C’est sa lettre ?

Euterpe hocha lentement la tête. Ellie resserra son étreinte.

- Tu veux que je reste avec toi ?

Elle hocha de nouveau la tête.

Sunlight

 

Après ces retrouvailles qu’Euterpe n’avait pas du tout prévues, elles avaient convenu d’aller boire un café ensemble, afin de pouvoir parler dans un environnement plus sympa qu’une loge impersonnelle et rattraper un maximum des vingt-cinq dernières années. Ça lui donnait le vertige, vingt-cinq ans. C’était toute une vie. Sa fille n’avait même pas encore vécu autant. Elle inspira profondément. Vingt-cinq ans, et voilà qu’elle avait une nouvelle chance, une chance qu’elle n’aurait jamais cru avoir. Ellie avait fait partie du passé pendant si longtemps, elle ne pensait jamais la revoir. Et pourtant, elle était là, marchant à ses côtés.

Le problème avait la célébrité, c’était qu’il était difficile de faire les choses banales sans que ça ne devienne hors de contrôle. Il y avait toujours des gens pour venir vous voir, vous parler, vous demander des photos. Si bien que quand les deux femmes s’assirent à la terrasse d’un café, elles furent assaillies par des fans et des journalistes. On leur demandait qui était cette femme rousse, qu’on n’avait jamais vue, et elles leur répondaient que ce n’était pas leurs affaires. Mais elles ne furent pas laissées tranquilles pour autant. On en savait encore que trop peu sur cette musicienne montante. Et à raison. Personne n’était au courant pour sa première fille. Personne ne connaissait l’existence de la farouche Polymnie.

- Tu veux pas plutôt qu’on aille à mon hôtel ? proposa Euterpe. J’ai une super chambre, loin des regards, ajouta-t-elle en observant du coin de l’œil tous ces gens autour d’elles.

Ellie hocha la tête et Euterpe s’empara de sa main pour l’entraîner loin de la foule. Sans aucun doute que la photo de leurs mains jointes ferait la une des journaux people. Elle devait arrêter d’avoir peur. Elle devait mettre fin à ce mensonge né vingt-cinq plus tôt.

- Je peux te proposer un café ? lança Euterpe en entrant dans la chambre.

Un mince sourire s’étira sur les lèvres d’Ellie. La brune ne la connaissait pas, pour lui proposer du café. Mais en y repensant, la rousse n’en savait pas plus sur elle non plus. Et pourtant, quand elle l’observait, elle ressentait toujours la même chose que vingt-cinq ans auparavant.

- Je veux bien un chocolat chaud, si tu as, dit-elle en se rapprochant de l’immense baie vitrée qui donnait sur toute la ville illuminée de mille et une lumières qui commençaient à être allumées, rivalisant avec les derniers rayons de soleil.

Ça changeait de la vue de son hôtel. Musicienne célèbre rapportait de toute évidence beaucoup plus que modeste guide de montagne.

- Oh, merci.

Perdue dans sa contemplation de la ville, elle en avait presque oublié le temps qui passait et son chocolat était déjà prêt. Elle ne put s’empêcher de penser à Gus. C’était avec lui qu’elle avait eu l’habitude d’en boire quand le soleil se couchait. Ça faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas vu.

Elle tourna la tête. Dans les yeux d’Euterpe, les derniers rayons du soleil mouraient, derrière les vitres, le soleil se couchait, mais Ellie ne pouvait pas détacher son regard, absorbée. Le soleil ne valait rien, comparé à Euterpe.

Holding hands

 

J’avais déjà tenu sa main. Un court instant, un mois d’août, il y a si longtemps. Je l’avais prise pour qu’elle vienne avec moi, qu’elle vienne se reposer, qu’elle arrête de pleurer. Je lui avais dit que je l’aimais bien, juste avant. J’avais menti. Je l’aimais, tout simplement. Mais à l’époque, je n’en étais même pas consciente. Ah, je suis drôle. Cette fille chez qui tout m’obsédait, je n’arrivais pas à réaliser que c’était parce que je l’aimais. Je ne la prenais que pour une amie. Est-ce que les choses auraient pu être autrement si je lui avais dit je t’aime, à la place de je t’aime bien ? Je n’ai même pas envie d’y penser. Je suis déjà assez chanceuse de l’avoir retrouvée, vingt cinq ans plus tard. Aujourd’hui, je tiens sa main, vraiment. Pas pour qu’elle me suive, pas pour la rassurer, mais parce qu’on marche côte à côte. Je sens ses doigts entre les miens, sa paume contre la mienne, la faible pulsation de son cœur, sa chaleur. Je veux tenir sa main pour toujours. Je ne veux plus jamais la laisser partir.

Royalty!AU

 

C’est tellement inimaginable. Tout était en dehors de l’entendement. Les lumières, les gens, les meubles, le sol, le plafond, tout ce luxe. C’était la première fois qu’elle venait au palais et c’était tout un autre monde pour elle. Elle se sentait étrangère, en réalité, avec sa robe de seconde main qui lui venait de sa mère et sa tignasse rousse qu’elle n’avait pas réussi à coiffer convenablement pour une soirée au palais. Même habillée le plus chiquement qu’elle le pouvait, elle paraissait être une paysanne, ce qu’elle était. Comparée à toutes ces robes magnifiques et scintillantes, ces bijoux qui valaient plus que sa propre vie, ces visages guindés et tant maquillés que c’en était extravagant.

La princesse parvenait à être encore plus que tout ça. Au milieu de la pièce, elle rayonnait, encerclée par un groupe d’hommes subjugués par sa beauté, elle était leur soleil. Et elle, elle était une lointaine planète qui n’aurait pas dû tourner autour d’elle, mais son attraction était si forte, qu’elle ne pouvait se résoudre à se trouver une autre étoile.

Elle soupira. Ce bal n’était pas pour elle. Elle avait été invitée comme beaucoup d’autres jeunes filles pour remplir la pièce et faire illusion d’un bal ordinaire, mais tout le monde savait que ce bal avait pour unique but d’amener tous les hommes à marier pour que la princesse se choisisse un époux. Ce bal n’était définitivement pas pour elle. Une fille à marier n’était pas faite pour une princesse. Une fille à marier n’était faite pour aucune autre fille, d’ailleurs.

Elle ne pourrait pas s’approcher de la princesse ce soir, et même si elle le pouvait, elle ne s’intéresserait pas à elle. La jeune rousse décida alors de se retirer sur le balcon. Il n’y avait personne et il donnait sur ses montagnes natales, loin de tout ce luxe qui la rendait mal-à-l’aise. Et elle y aurait un peu d’air pour respirer. Il lui semblait étouffer parmi tous ces gens et leurs tissus.

Les étoiles n’étaient pas aussi nombreuses que chez elle, à cause de toute la lumière provenant de la ville qui s’étendait en bas de la colline. Elle inspira lentement. Elle n’aurait jamais dû venir. Tout ça, ce n’était pas elle.

La porte du balcon s’ouvrit quelques minutes après qu’elle l’ait refermée, et elle compris au son que faisait tout le tissu de la robe, que c’était une femme qui venait prendre place à côté d’elle. La nouvelle arrivée expira bruyamment.

- Ça fait du bien, un peu d’air frais, commenta-t-elle. Je n’en pouvais plus de tous ces hommes.

La remarque retint l’attention de la jeune montagnarde, qui tourna alors la tête. Elle plissa les yeux quand tout le rayonnement de son soleil vint lui brûler la rétine. Ces cheveux bruns cascadant librement sur ces épaules frêles, ces yeux sombres qui scrutaient le lointain, ces lèvres rosées légèrement entrouvertes. Et cette robe, éblouissante, parfaitement adaptée à ce corps. Elle était parfaite. Un astre.

bottom of page