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Chapitre 9

- Rabbit, où est-ce qu’on va ? redemanda Anabel pour la cinquième fois.

Rabbit ne répondit pas. Depuis qu’ils avaient quitté le bar ensemble, il n’avait pas dit un mot, et ce silence commençait à fortement agacer la sorcière. Il semblait l’emmener dans une partie du monde où personne ne s’aventurait, c’est-à-dire la colline, en haut de laquelle se tenait un vieux château abandonné depuis toujours. Elle savait parfaitement où ils allaient, ils allaient dans ce château, mais elle ne comprenait pas pourquoi. C’était pourquoi elle continuait à poser la question.

- Rabbit ?

- Tu ne te tais jamais, hein ? dit-il enfin, exaspéré.

- Je veux savoir où tu m’emmènes et pourquoi.

- Tu verras une fois là-bas. En attendant, la ferme. Ta voix est insupportable.

Anabel ne s’avoua pas vaincue.

- Ok, je ne demande plus où on va. Pourquoi on y va, où qu’on aille ?

- Je te l’ai déjà dit : Tu. Verras. Dois-je te bâillonner, ou tu peux fermer ta grande gueule toute seule ?

- Essaye donc, je suis beaucoup plus puissante que toi.

- Magiquement, oui, physiquement, non. Tes pouvoirs ne m’arrêteront pas.

 

Elle se tut, enfin. Anabel ne connaissait pas beaucoup Rabbit, c’était seulement un des musiciens du groupe de la ville, et elle le croisait de temps à autre au bar, quand il venait jouer, mais elle ne pensait pas qu’il serait aussi exécrable, malgré le fait qu’il ne souriait que très peu. Cette aigreur constante lui venait sans doute de son passé, qui n’était plus un secret pour personne, puisqu’un jour, son fils Bunny n’avait pas pu s’empêcher de raconter au monde entier, littéralement, ce qui était arrivé à son père, tant il trouvait l’histoire incroyable. Rabbit était l’un de ces rares maas qui étaient restés dans le monde mortel durant le massacre, refusant de laisser aux mortels un monde qui ne leur appartenait pas. Il avait rejoint la résistance, avait combattu, tué plus de mortels que n’importe qui d’autre, avant d’être capturé. On ne l’avait pas tué, non, on l’avait torturé. D’abord un doigt, puis une main, puis plusieurs de ses orteils, avant la jambe complète. Et même un œil. On lui avait pris tout ça, petit à petit, le laissant souffrir, dans une cage, tel un vulgaire animal. Jusqu’à ce qu’une sorcière vienne le sauver, et l’emmène ici, à Maashì. Là, il avait remplacé chacun de ses membres perdus par des répliques en métal, en cuir, faits de rouages et de mécanismes qu’il parvenait à faire bouger. Il était devenu un homme à moitié mécanique. Quand on avait appris son histoire, on avait voulu savoir qui était la sorcière, mais jamais il ne le dit. On ne savait même pas si elle était encore vivante.

Ils arrivèrent bientôt au château. Anabel avait donc eu raison. C’était là l’endroit où il l’emmenait. Elle ne comprenait toujours pas. Il semblait désert.

Et en effet. Les couloirs étaient déserts, les pièces devant lesquelles ils passaient étaient vides de tout, le bruit de leurs pas se répercutait contre les murs nus.

Dès qu’elles étaient entrées dans le bar, Aelis et elle, Rabbit était venu les voir. Il avait longuement dardé son regard sur la jeune Vanek et il avait même demandé si elle était aussi puissante qu’on le prétendait. Puis il avait demandé ce qui l’avait enfin sorti de sa tanière.

- Moi, avait répondu Anabel. Pour fêter notre dernière leçon. Je n’ai plus rien à lui apprendre.

- Viens avec moi, avait soudainement lancé Rabbit, changeant totalement de sujet. J’ai quelqu’un à te présenter.

- Sûrement pas, je suis là pour passer la soirée avec Aelis.

Elle avait finalement accepté quand Rabbit lui avait glissé à l’oreille que cela concernait les mortels. Elle s’était excusée auprès d’Aelis, lui promettant une sortie un autre soir, et elle était partie.

Il y avait quelqu’un, dans le château. Là, au bout de ce couloir. Elle ne l’avait jamais vu en ville, mais elle devina sans mal, à la vue de ses yeux jaunes, qu’il était un pùca. Ou tout du moins, un hybride, car elle n’avait encore jamais vu un pùca sans la moindre caractéristique animale visible. Or celui-là n’avait ni oreilles qui se dressaient sur le haut de son crâne, ni queue battant l’air dans son dos, ni mains poilues et griffues, rien. Seulement des yeux jeunes et menaçants.

C’était un imposant hybride. Il était immense, et musclé. Il pourrait sans doute tuer une personne du gabarit de la sorcière d’un revers de main.

- Callirhoé la demande.

Callirhoé… Anabel n’en avait jamais entendu parler. Pourtant, Maashì abritait si peu d’habitants qu’il était facile de connaître tout le monde, au moins de nom. Ne pas connaître l’hybride qui gardait la porte était déjà assez bizarre.

Ce dernier hocha doucement la tête et ouvrit sans un mot la porte derrière lui. La pièce n’était pas vide, contrairement à toutes les autres. C’était vraisemblablement un bureau, dont les immenses fenêtres donnaient sur l’infinité de l’océan. Et devant ces fenêtres se tenait une femme de dos. Et ses cheveux emmêlés révélèrent immédiatement ce qu’elle était.

 

- Une Vanek… souffla Anabel.

Impossible. Comment une sorcière Vanek pouvait-elle se trouver là ? Il n’y en avait plus, hormis Aelis, les autres, elles étaient toutes mortes il y a longtemps, le gêne avait disparu, si une autre sorcière Vanek avait existé, ils l’auraient su, et pourtant. Ces cheveux ne trompaient personne. C’aurait pu être une teinture, mais quand elle se retourna, ce fut un regard vert qui rencontra celui sans couleur d’Anabel. Elle était une Vanek, une vraie, une qu’Aelis ne pourrait jamais être. Mais, comment ? Natacha et Thiziri étaient mortes depuis longtemps. C’était les dernières.

Callirhoé sourit et s’approcha, une main tendue, prête à venir serrer celle d’Anabel.

- Bonjour, vous êtes Anabel Asarlaì, n’est-ce pas ? Je m’appelle Callirhoé Vanek, mais asseyez-vous, je vous en prie, ajouta-t-elle en présentant un des fauteuils au centre de la pièce, tout en balayant son autre main vers Rabbit, pour lui demander de partir, ce qu’il fit en silence. Vous semblez décontenancée, remarqua-t-elle.

Anabel ne disait rien, s’assit en silence, ne quittant pas la Vanek des yeux. Elle n’en revenait toujours pas.

Le rire de Callirhoé s’éleva dans la pièce, et le visage d’Anabel restait figé.

- Qui êtes-vous ? parvint-elle finalement à dire.

- La dernière Vanek.

 

Anabel restait consternée. Ça ne répondait vraiment pas à sa question.

- Je comprends votre étonnement, vraiment, la rassura-t-elle doucement. Nombreuses ont été ces filles qui se faisaient appeler Vanek. Il y en a une en ville, depuis un an, j’ai appris.

Elle parlait sans aucun doute d’Aelis. Mais Aelis n’était pas une imposteuse. Elle était véritablement une Vanek. Elle avait créé une flamme, à partir de rien. Seule une Vanek pouvait le faire.

- Mais aucune d’entre elle n’a été une Vanek. Pas même ces Natacha et Thiziri que vous autres avez suivies, il y a quelques années de cela.

Anabel avait connu Natacha et Thiziri, Natacha était née avec deux maas jumeaux, et avait été approchée par des habitants de Maashì, pour qu’elle les aide, avec ses pouvoirs de Vanek, à anéantir les mortels. A l’époque, il y avait un groupe, un groupe qui œuvrait jour et nuit à cette quête de destruction, et Anabel en avait fait partie, en cachette. Personne dans ce groupe, ne savait réellement comment détruire toute une espèce avec les maigres pouvoirs que les sorcières et les maas détenaient. Quand la rumeur qu’une Vanek était de nouveau née, ils avaient tout fait pour qu’elle les aide. Ils avaient mis du temps, sa famille était une famille de mortels, mais quelqu’un avait trouvé les bons arguments, et elle et ses frères étaient régulièrement venus à Maashì, afin de faire des recherches et tester les limites de leurs pouvoirs. En vain. Ils n’avaient rien trouvé. Quand une seconde sorcière Vanek, la fille de Natacha, naquit, l’espoir subsista, on avait quelques nouvelles années pour trouver une solution. Mais Clarisse refusa, tout simplement. Elle trouvait le but de ce groupe totalement abject et dénué de moralité. On reporta tous les espoirs sur sa fille, Thiziri, qui malgré les hybridations, restait néanmoins une sorcière. Anabel se souvenait, ils avaient dû éviter les suspicions de Clarisse, qui refusait que sa fille soit mêlée à ce projet, et Thiziri les avait aidés à l’insu de sa mère. Puis elle était morte sans que la moindre solution ne soit trouvée. Et l’espoir avait disparu. Le groupe avait été dissous, au grand dam d’Anabel. Les mortels devaient mourir. Tous.

Mais Callirhoé avait tort, Natacha et Thiziri avaient été de vraies Vanek. Elles avaient eu les cheveux rouges, et la puissance.

 

- Il y a une explication toute simple à cela, Anabel, continua Callirhoé. J’ai connu le massacre, j’ai vu ma famille entière mourir, il ne restait que moi. Et ma fille, la seule qui aurait pu donner naissance à d’autres Vanek, est morte devant mes yeux. Je suis la dernière des Vanek.

- C’est impossible… Elles sont des Vanek aussi, j’ai vu leurs pouvoirs…

- Des illusions.

- Votre fille n’est peut-être pas morte. Peut-être qu’elle a eu une famille.

- Je l’ai vu mourir, tuée par son père. Je ne peux vous blâmer d’avoir été trompée par ces filles, Anabel, continua-t-elle. Maintenant, vous savez la vérité, et j’aimerai que vous écoutiez ma proposition.

Anabel se recala nerveusement dans son siège. Elle n’était pas sûre d’aimer tout cela. Elle avait du mal à croire Callirhoé, malgré les doutes qu’elle avait pu avoir autrefois face à la véritable identité d’Aelis. Maintenant, elle la connaissait, elle savait qu’elle était une vraie Vanek. Ce que disait cette femme en face d’elle ne collait pas.

- Comment je peux être sûre que vous me dites la vérité ? demanda Anabel avant de la laisser faire sa proposition. Comment être sûre que vous n’êtes pas une de ces filles ?

Sans un mot, un rictus déformant ses lèvres, Callirhoé leva une main et d’un geste rapide, fit apparaître une flamme, semblable à cette d’Aelis.

Seule les Vanek sont capables de créer des éléments. Les autres sorcières ne peuvent que contrôler ceux déjà présents.

Les deux femmes ne se quittaient pas des yeux, se défiant mutuellement. Anabel devait maintenant la croire, elle était une Vanek. Mais elle mentait quelque part. Elle n’était pas la dernière.

- J’ai pour but de détruire les mortels, annonça-t-elle ensuite de but en blanc. Il me semble que c’est votre but également.

- Ils ont tué ma famille… maugréa Anabel.

Le massacre était terminé depuis des décennies, ils pensaient être en sécurité.

- Et ils ont tué la mienne. J’ai néanmoins essayé de les comprendre, d’apprendre à les connaître, j’en ai même aimé un, avant qu’il ne tue notre fille et tente de me tuer par la suite. Les mortels ne méritent que ce qu’ils nous ont fait subir.

- Mais nous n’avons aucun moyen de les tuer en masse. Nous avons cherché toutes les solutions. Il n’y en a aucune.

- Il y a une raison pour laquelle j’ai survécu au massacre, ma chère. Je suis puissante. Et pour nous aider dans notre tâche, j’ai créé un déséquilibre. La fin des mortels est proche, croyez-moi.

Ce chapitre a mis du temps à arriver, je m'en excuse :(

Callirhoé est de retour, et surprise, c'est elle le "traître" ! :o

Et à votre avis, qui est-elle par rapport aux Vanek ? Elle fait partie de la famille, mais qui est-elle ?

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