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Chapitre 6

Elle se tenait sur le perron, la tête posée contre ses paumes de main. Elle observait la ville de vapeur qui fumait sous elle. Le genre de ville dont elle avait toujours rêvé, qui ne vivait que dans son imagination ou sur des images que d’autres dessinaient. Des villes rouillées, aux rues étroites, engluées dans un brouillard artificiel, menacées par un ciel constamment gris. Aujourd’hui, le soleil brillait faiblement à travers un fin voile de nuages. Maintenant qu’elle voyait une telle ville, elle se rendait enfin compte que ce n’était pas vraiment vivable. Ça s’ancrait mal dans le paysage, faisait tâche. C’était bien sur les dessins. En vrai, c’était trop.

 

Elle n’avait pas envie d’aller s’y balader. Premièrement parce qu’elle ne voulait pas croiser tous ces gens qui ne l’aimaient déjà pas, alors que pour une fois, elle avait essayé de s’intégrer. Elle n’était vraiment pas faite pour être sociale. Et secondement parce qu’elle détestait s’aventurer en dehors de chez elle. Mais pouvait-elle vraiment considérer la bicoque où elle et Mewann vivaient comme son « chez elle » ?

Elle soupira. Elle regarda la porte d’entrée. Le loup n’était même pas venu la voir pour lui parler, la consoler. Elle venait d’apprendre que toutes ces personnes qu’elle avait laissées à Hidden Springs allaient mourir dans peu de temps. Ils s’inquiétaient sans doute pour elle à cette heure. Si le temps s’écoulait si lentement ici, qui sait combien de temps il s’était passé dans le monde mortel depuis son arrivée ici. Que valait une journée ici ? Une semaine ? Un mois ? Plus ? Moins ? Elle ne savait pas, et n’avait aucun moyen de le savoir. Elle savait seulement que maintenant, tous devaient la chercher sans relâche, surtout Ludovic. Elle était tellement désolée pour eux, tous. Pour ses parents, qui venaient de perdre un enfant, pour Ludovic, qui venait de perdre sa sœur adorée. Elle aurait tellement voulu leur dire au revoir, leur expliquer où elle était. Ils devaient la croire disparue, voire morte. Elle s’en voulait de leur imposer une telle inquiétude.

Elle se leva et décida de s’éloigner de cette maison dans laquelle elle avait appris tant de mauvaises nouvelles. Ce n’était pas chez elle, et ne le serait jamais.

La ville n’était pas la même en journée, sous le soleil. Elle semblait beaucoup plus accueillante, mais tout aussi vide. Peu de personnes vivaient dans ce monde. Elle ne croisa que quelques maas et sorcières qui la regardèrent de travers, à cause des évènements de la veille. Jusqu’à ce qu’elle croise celle qu’elle ne voulait surtout pas voir.

- Hey, la fille Vanek ! s’écria cette dernière en l’apercevant.

 

Aelis grimaça quand la voix de la sorcière rousse atteignit ses oreilles. Comment une voix pouvait-elle être à ce point horrible ? Etait-ce naturel, ou quelque chose l’avait par quelconque moyen modifiée ?

- Je suis une Vanek, maintenant ? railla-t-elle.

- Ton petit-ami loup nous a plutôt bien convaincu. Même si j’attends de voir ce que tu vaux. J’ai toujours de mal à croire qu’une Vanek ne sache pas contrôler ses pouvoirs.

- Si tu veux du spectaculaire, j’ai mis le feu à un cabanon par peur étant enfant.

L’autre ne répondit rien, se contenta de sourire. Aelis appréciait ce silence. Tout était mieux que l’horrible voix d’Anabel.

- Il se peut que tu sois ce que tu prétends être. Si c’est le cas, j’aurai besoin de ton aide, plus tard.

- Pour quoi faire ? demanda la Vanek, suspicieuse.

- Tu verras en temps et en heure, répondit l’autre.

Aelis n’insista pas. Elle n’était pas sûre de vouloir savoir ce que cette sorcière voulait faire de ses pouvoirs.

Un silence gênant s’installa entre elles. Aelis n’avait pas envie de parler, pour éviter de lancer l’autre sorcière sur une conversation et entendre sa voix, et Anabel ne savait pas quoi dire à cette fille qu’elle avait accusé d’être une usurpatrice. Non pas qu’elle était mal-à-l’aise, elle n’avait jamais eu la langue dans sa poche, de toute façon, et elle ne s’était jamais souciée de ce que pouvait penser les autres d’elle, sa réputation actuelle le prouvait bien d’ailleurs. Non, c’était qu’elle n’avait jamais accusé personne qui n’était pas réellement un usurpateur. Les deux dernières « Vanek » s’étaient révélées être des fausses, et elle était ressortie gagnante du débat. Contre cette fille, elle avait perdu pour la première fois, et ce face à un loup.

- Mais… commença l’ignoble voix. Tu ne sais pas te servir de tes pouvoirs, c’est ça ?

Aelis releva la tête, surprise par la question soudaine. Elle hocha négativement la tête.

- Etrange, pour une sorcière aussi puissante que toi, ça devrait t’être inné, persifla-t-elle. Comme quoi, les Vanek ne sont pas si spéciales que ça, ajouta-t-elle avec un sourire en coin, qu’Aelis ignora.

Elle n’en avait que faire d’être spéciale ou non, elle ne voulait même pas être ce qu’elle était, si elle ne l’avait pas été, elle aurait continué sa vie à Hidden Springs avec sa famille, avec son frère, elle n’aurait sans doute pas trouvé quelqu’un avec qui vivre sa vie, comme ses frères, et n’aurait probablement jamais eu d’enfants, mais elle aurait été tante, et ça lui aurait largement suffit. Là, elle vivrait loin d’eux, il vieilliraient pendant qu’elle ne prendrait pas une ride, et ils mouraient. Quand sa mission ici serait finie, elle n’aurait plus personne. Alors pour éviter ça, elle aurait tout fait pour ne pas être spéciale. Dans d’autres cas, elle aurait peut-être aimé se découvrir des pouvoirs, et capable de parler une langue étrange, mais là, ça n’en valait clairement pas la chandelle.

 

- Montre-moi ce que tu sais faire, demanda la rousse.

Hors de question. Aelis ne savait rien faire, la seule fois où elle avait usé de ses pouvoirs s’était terminée avec une cabane calcinée qui avait manqué de cramer la montagne toute entière. Elle refusa.

- Pas ici, si tu ne veux pas t’afficher, mais on pourrait aller chez moi, et tu me montrerais. Je suis curieuse. Allez, fille Vanek, je t’offre à boire, c’est pour avoir été si ignoble avec toi hier soir.

Aelis la jaugea du regard, suspicieuse. Anabel lui parlait presque gentiment, et l’inviter chez elle, comme si la veille, elle ne s’était pas totalement énervée contre elle en la traitant de menteuse. Savoir qu’elle était une Vanek avait rendu la sorcière à l’horrible voix bien plus sympathique. Quelle hypocrite.

Puis elle eut une idée.

- D’accord, mais à une condition.

L’autre pencha la tête sur le côté, lui indiquant ainsi qu’elle était toute ouïe.

- Je veux que tu m’emmènes dans le monde d’où je viens après. Je veux voir mon frère et lui expliquer.

- Impossible.

- Alors c’est non.

- Ton frère est un mortel, je peux pas te laisser lui dire quoi que ce soit.

- Je ne lui dirai rien, promis Aelis.

- Et comment tu comptes lui expliquer où tu es ?

- Je trouverai.

Elle n’était elle-même pas convaincue, mais elle devait tout faire pour qu’Anabel accepte sa requête. Cela ne faisait qu’une journée qu’elle n’avait pas parlé à son frère, et il lui manquait déjà terriblement. Elle ne pouvait s’empêcher de penser à la dernière fois où elle l’avait vu. Si elle avait su… elle l’aurait enlacé tellement plus fort, tellement plus longtemps, lui aurait dit ce qu’il signifiait pour elle.

- Ok.

Anabel vivait dans une maison beaucoup moins difforme que celle que la Vanek occupait avec Mewann. C’était un très petit manoir victorien aux teintes bordeaux, qui avait sans doute autrefois eu un magnifique jardin, aujourd’hui totalement laissé à l’abandon. Des ronces et des mauvaises herbes poussaient dans les fondations, commençaient à manger les murs, créaient un véritable labyrinthe sur l’herbe non entretenue.

- Pas le temps, avait dit Anabel en la guidant jusqu’à la porte d’entrée.

L’intérieur était comparable à l’extérieur. C’était un foutoir sans nom, tellement qu’on pouvait à peine circuler. Comme toute bonne maison steampunk, elle était jonchée d’objets en tout genre, pour la plupart rouillés, mais il y avait aussi de la vaisselle sale partout, dans l’évier, sur la table, et même par terre, des livres abimés, des feuilles volantes se trouvaient sur chaque surface possible, et Aelis ne prit pas le temps de se pencher dessus pour voir de quoi tout cela parlait.

- Excuse le bazar, j’ai beaucoup trop de choses à faire pour ranger, expliqua Anabel en jetant par terre ce qui se trouvait sur la table pour faire de la place. Assieds-toi, l’invita-t-elle.

Même sur la chaise, il y avait des feuilles, qu’Aelis n’hésita pas à lancer à terre. Elle inspira longuement. Elle regretterait presque d’être venue, si elle ne savait pas qu’elle allait revoir son frère une dernière fois.

- Alors, vas-y, montre-moi ce que tu sais faire, dit l’autre en lui apportant un café fumant.

 

La jeune Vanek fit une grimace, rien qu’à l’odeur. S’il y avait bien quelque chose qu’elle détestait par-dessus tout, c’était le café. Elle repoussa la tasse sans un mot, ni une politesse. Elle était loin d’être amie avec cette fille, elle n’en avait rien à faire de mal se comporter avec elle.

Puis elle se concentra sur ce qu’on lui demandait. Elle devait utiliser ses pouvoirs, ces pouvoirs dont elle avait appris l’existence la veille seulement. Jamais elle ne s’était doutée qu’ils étaient en elle, jamais elle n’aurait cru avoir ça en elle, en dehors de la cabane en feu, ils ne s’étaient jamais manifestés. Elle avait également repoussé Mewann, quand il l’avait menacée. Ses pouvoirs ne semblaient faire surface que quand elle était en danger.

- J’y arrive pas, lâcha-t-elle après plusieurs minutes où rien ne se produisit.

Anabel souffla bruyamment, comme exaspérée. Ce n’était tout de même pas sa faute si elle ne savait pas utiliser ses pouvoirs parce qu’elle avait été élevée par des parents mortels quand même !

- Concentre toi, cherche au fond de toi.

Elle ferma les yeux, et fit comme Anabel venait de lui conseiller. Elle chercha, sans savoir où chercher, ni quoi, ce qui était parfaitement inutile. Elle ne connaissait même pas l’entendue de ses pouvoirs, ce qu’elle était capable de faire avec. Oh, elle savait qu’elle pouvait mettre le feu, mais dans ce cas-là, elle ne le souhaitait pas vraiment. Elle n’avait vraiment pas besoin de mettre le feu à la maison d’une sorcière qui ne l’appréciait qu’à moitié. 

Soudain, Anabel hurla.

Aelis ouvrit les yeux.

- Qu’est-ce qu’il y a ? s’affola-t-elle.

- Tu as fait bouillir le café et ça m’a brûlée ! accusa la rousse.

- Vraiment ?

Elle n’avait même pas eu conscience d’avoir utilisé ses pouvoirs.

- Pour une Vanek, c’est pas très convaincant, tout de même, je suis capable de faire la même chose… fit remarquer Anabel.

- Tu m’emmènes dans le monde des mortels maintenant ?

- Pas sûre… Ta performance n’était pas fabuleuse, ça ne se vaut pas. Je me sens un peu manipulée.

- Tu avais promis ! s’emporta la Vanek en se levant brusquement, voulant paraître menaçante, mais elle ne trompait personne, avec ses pouvoirs inutiles.

- Faux, je n’ai rien promis du tout. Tu devrais apprendre à ne pas faire confiance à n’importe qui. Je ne te fais toujours pas confiance, tu n’as vraiment pas l’apanage d’une Vanek. Ton loup est sûrement un très bon menteur, et très bon acteur.

Le sang d’Aelis ne fit qu’un tour. Ce n’était pas Anabel la manipulée, mais bien elle. Comment avait-elle pu faire confiance à cette sorcière ? Il n’y avait aucune compassion en elle. Ne pouvait-elle pas se mettre à sa place, le temps d’un instant, et imaginer ce qu’elle ressentait, loin de sa famille ?

Il se trouvait que la colère avait le même effet sur les pouvoirs de la Vanek que la peur. Bientôt, une flamme s’éleva entre les deux sorcières, sous leurs yeux effarés.

Nos deux meilleures amies se retrouvent, pour le meilleur et pour le pire !

Sinon, j'ai enfin réussi à avoir mon scénario plus ou moins complété, et à trouver un lien temporel entre Maashì et le monde mortel, donc, je sais quand environ je devrai sortir les chapitres du déséquilibre. Donc plus de un par mois, car je prendrais alors trop d'avance, c'est un peu compliqué, excusez-moi. Mais dans tous cas, je préviendrai des sorties des chapitres, pas d'inquiétude.

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